LISETTE LOMBE - impressions d'une rencontre
Ce 18 janvier 24, Lisette Lombe évoquait à la bibliothèque de Spa son parcours et son œuvre, 9 ans jour pour jour après ses premiers pas sur une scène slam. L’hiver sévissait en elle aussi quand, timide et cherchant un souffle, elle ébauchait sans le savoir, ce jour-là, une révolution pour la planète slam. De sa volonté d’agir et de faire bouger le monde naissait bientôt le collectif de poétesses L slam.
D’emblée, ce que nous apporte l’artiste à la définition commune du slam, c’est qu’il est un art de l’écoute. Participer à une scène ouverte, explique-t-elle, cela suppose trois minutes d’un don de soi par les mots, et deux ou trois heures d’attention aux paroles des autres. Cette notion de l’écoute, Lisette Lombe la porte à bout de bras au rang des valeurs essentielles. Même lorsque Michaël Lambert la questionne sur son rapport personnel à l’écriture, l’artiste, qu’il qualifie fort à propos de « multi-facettes », évoque la multitude qui l’entoure, soulignant au cœur de sa démarche l’importance du soin apporté à l’œuvre et au chemin de ses congénères. Elle précise qu’elle pourrait délaisser un jour l’écriture et la scène, mais jamais l’animation d’ateliers. En effet, consciente de la façon dont « le mot vient au chevet », Lisette ne peut départir sa démarche d’un engagement, d’une militance sociale, bien sûr, mais avant tout du souci de l’autre. Sa présence au monde semble contenir l’urgence de choisir les actes et les mots qui viennent au secours, réconfortent et encouragent.
Un autre aspect de sa personnalité que la rencontre met en exergue, c’est la lucidité dont elle fait preuve, elle que l’on a projetée quelquefois sur des fauteuils étiquetés qu’elle ne réclamait pas, où l’on attendait qu’elle porte la parole d’une ou l’autre communauté. En chaque étape de sa vie artistique, elle examine avec bonté les enjeux, les interactions, les mouvements à l’œuvre, observant par exemple la vitesse d’évolution des thèmes sociétaux privilégiés et les usages d’une jeune garde rompue aux médias et technologies actuels multipliant les « insta-poèmes » et les espaces de performance.
Je me permets de franchir d’un grand pas indélicat ce qui concerne l’œuvre elle-même, (d’autres l’ont fait merveilleusement et vous n’aviez qu’à braver le froid), pour en venir à la question de ce fauteuil tout neuf : celui de poétesse nationale. Lisette Lombe évoque une fois encore, sourire humble au milieu, cette mission dénuée de moyens financiers, mais qu’elle perçoit comme une occasion idéale de donner, d’entendre le plus grand nombre, d’apporter la poésie là où elle ne niche pas, de l’éveiller au cœur de celles et ceux qui se croient à elle étrangers, par méconnaissance d’eux-mêmes, par crainte aussi de ce monde quelquefois mal ouvert que l’on nomme poésie.
Je clôturerai ce résumé grossier de la rencontre en disant qu’elle venait à point ajouter une médaille au torse de celles et ceux qui proposèrent Lisette Lombe à ce siège délicat de poétesse nationale. Une rencontre susceptible de dégrafer les grimaces des grincheux et des sceptiques, la mienne en tout cas. Je salue en passant l’habileté de Michaël Lambert à conduire l’échange, avec cette joie communicative, et une connaissance aimante et pointue de celles et ceux qu’il reçoit.
Soyez attentifs aux prochains rendez-vous en terre spadoise, où Lisette proposera le spectacle « brûler danser », en compagnie de Cloé Du Trèfle, à découvrir aux Francofolies.
Pour en savoir plus :
Lisette Lombé - La vie, la poésie (lisettelombe.com)
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ARIANE LEFORT - Quand les gens dorment ( ONLIT, mars 2022 )
Un roman de grâce et de lumière tamisée, où chaque page est vêtue de la matière des jours et des nuits, de leur musique particulière. Les corps vivants jouissent d’être, et ce qui est intense l’est par nature. Pas d’artifices dans ce grand livre, et quand on y pressent une quête d’absolu, elle est tranquille, candide, presque posée, entre la gare et le lit, l’air de ne savoir quoi dire, mais « c’est la deuxième fois qu’on voit la neige ensemble ». C’est l’histoire du bel étonnement d’aimer que nous raconte Ariane, la marée douce du soir qui vient, du temps choisi. Tout cela dans la ville et ses rythmes, sa musique éparse, le chant des oiseaux et celui du bus vide. L’art d’épeler les détails contribue à créer le charme et révèle une sacrée tendresse pour les humains et pour la vie.
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L’île longue – Victoire De Changy ( éd J’ai lu – 2019 / 184p )
Aventurer son écriture dans une ode à la liberté exige une finesse et une plume habile. Dès les premières pages, on devine que l’auteure n’encombrera son texte d’aucun discours, le roman est tendu vers sa cible, et le voyage touche, tracé dans les dédales de Téhéran où, pour s’aimer, il faut trouver toujours un lieu secret, où l’on appelle un voisin « celui qui partage la même ombre ».
Une femme y rencontre un destin aux côtés de Tala, orpheline d’une mère dont elle ignore tout sauf l’expression d’une douleur. Les détails portent sens et nourrissent, entre une poupée enfouie comme un prénom qui se dévoilera plus tard, et des pas vers la mer qui s’écrivent épaule contre épaule. Sobrement, le souffle du voyage est appuyé par les Rubaïyats, quatrains d’Omar Kayam, texte ambassadeur de l’éternité poétique et de la beauté, « incitation à vivre haut, sans regret », écrit De Changy.
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DANIEL CHARNEUX – À propos de Pre ( éd. M.E.O. 2020 )
Daniel Charneux est un conteur d’âmes. Ouvrir ses romans, c’est s’assoir en sa compagnie comme au jardin pour l’entendre nous parler d’hommes et de femmes à ne pas oublier. Ici : Steve Prefontaine, immense athlète américain, précurseur rebelle des années 60-70 qui écrivait ses courses, tel un artiste, à l’encre des légendes.
L’auteur, précisément le narrateur ami de « Pre », nous confie que le fondeur « enragé » se punissait les lendemains de défaites en s’entraînant jusqu’à la douleur : cette douleur choisie des sportifs absolus. Pre condamnait toute autre souffrance que celle des foulées. « Mais si chacune est une douleur ? Abstrais-toi. Regarde le ciel… » Pas de romans sans quête spirituelle ( lisez Nuage et eau ), pas d’écriture sans la philosophie douce d’un être qui voit les oies en migrations et les processions de fourmis quand il court lui-même. Car l’auteur sait de quoi il cause !
Amateurs d’athlé, de contes modernes et de destins épatants, À propos de Pre vous enchantera. « Thanks for the memory », Mister Charneux !
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Cathy Galliègue - Contre-nature ( Seuil, 2020 – 266p )
Ce troisième roman de Cathy Galliègue est un coup de poing dans les murs des hommes. L’auteure donne la parole à trois femmes, et cependant que nous les rencontrons, une question émerge : Comment laisser éclore la vie pleine dans un monde où la beauté est une offense, un fruit piétiné, une tragédie ?
Page après page, nous découvrons les entailles, les enfers, la source des larmes « en lisière », et par-dessus tout : l’obstination de ces femmes à trouver une consolation, un lieu où s’éblouir. Sauf qu’elles sont en prison. « Ce qui est bien dans ma cellule, c’est qu’elle est si petite qu’elle me contient à peine. » Cette phrase illustre la force du roman. Inviter une lueur, l’inventer même, au cœur du drame. Alors ce lieu cherché s’ouvre, inattendu : le livre. Le livre lu et le livre écrit, le livre miraculeux qui repousse les murs, embrasse le silence atroce et l’ennui, apaise enfin, et offre une réponse à ma question.
Vient l’heure du « mal joli », dans un final à trois voix, apothéose de ce cri d’amour pour l’humain, et pour les mots.
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VICTOIRE DE CHANGY - L’île longue – ( éd J’ai lu – 2019 / 184p )
Aventurer son écriture dans une ode à la liberté exige une finesse et une plume habile. Dès les premières pages, on devine que l’auteure n’encombrera son texte d’aucun discours, le roman est tendu vers sa cible, et le voyage touche, tracé dans les dédales de Téhéran où, pour s’aimer, il faut trouver toujours un lieu secret, où l’on appelle un voisin « celui qui partage la même ombre ».
Une femme y rencontre un destin aux côtés de Tala, orpheline d’une mère dont elle ignore tout sauf l’expression d’une douleur. Les détails portent sens et nourrissent, entre une poupée enfouie comme un prénom qui se dévoilera plus tard, et des pas vers la mer qui s’écrivent épaule contre épaule. Sobrement, le souffle du voyage est appuyé par les Rubaïyats, quatrains d’Omar Kayam, texte ambassadeur de l’éternité poétique et de la beauté, « incitation à vivre haut, sans regret », écrit De Changy.
Une grâce enveloppe le récit, l’éclat de la poétesse et la science de la romancière s’allient pour enchanter et faire de l’île longue un roman de lumière et de soie.
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Alain Cadéo - Mayacumbra / ( éd. La Trace – 2019 )
Le hameau recroquevillé comme un être perdu sur la hanche d’un volcan promet des rencontres, on le sait. Car ceux qui habitent là, ceux que l’on dit du bout du monde, on les voit vivre au cœur de tout, quand on s’approche. Et ce cœur de tout ne se laisse pas écrire par le premier venu.
« C’est un vent sans nuances qui dégringole du sommet et qui apporte son odeur de glace et de silex. Théo a bien calé la porte pour qu’elle ne batte pas. » Voilà le style Cadéo. Le souffle du monde, et l’homme qui le respire, y cherche l’harmonie, avec son âme ancienne qui a toujours faim de pas, de vrai, d’une chaleur aussi.
L’homme au prénom de Dieu, auprès de son âne qui porte le pain et la poésie, vit sur une montagne prête à gronder. La terre est ici la peau d’une bête, elle a son caractère d’enfant sous l’apparente sagesse des hauteurs. « Marcher, observer, traverser chaque tranche de monde avec l’œil d’un nouveau-né ou celui d’un aveugle ayant recouvré la vue ». C’est ainsi qu’il existe, l’homme Théo. Et c’est de cette façon que Cadéo nous offre d’être lecteurs.
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Marcel SEL - Élise / – ( éd. Onlit, 2019 – 438p )
Opéra du sordide, Elise est une œuvre majeure écrite dans la continuité de Rosa, premier opus éclatant ( et récompensé à sa juste valeur ) de Marcel Sel. L’ouverture, puissante et maîtrisée, donne à voir ce qu’il faut de l’atrocité, dessine l’un de ces crimes odieux dont les hommes en guerre sont capables. Nous rencontrons dans leur agonie, qui semble aussi l’agonie de l’espoir, des femmes goûteuses au service d’Hitler.
Ces femmes, le romancier nous les présente au fil du récit et les décompte en même temps. Procédé lugubre et sans faille, comme inspiré de l’implacable cruauté nazie. L’art des grands romans sombres est de distiller la lumière, à laquelle vient boire le lecteur, entre les mots, dans les contrastes. Quelle naïveté touchante Sel insuffle à l’héroïne qui, au son du Masurenlied, s’émeut de la perfection de l’Allemagne, sa patrie ! En dépit de son regard sévère sur la dictature, elle crie, à l’instant de la chute, le salut au Führer. Pourquoi ? Voilà ce que souhaite comprendre un homme qui l’aime, et dont nous suivons les pas.
Féroce et grave, Elise est un roman de haute humanité, un incontournable voyage littéraire.
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